Communiqué de presse: Le Prix de Sciences économiques, de la Banque de Suède, en mémoire d´Alfred Nobel, 1999

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13 Octobre 1999

L’Académie Royale des Sciences de Suède a attribué le Prix de Sciences économiques, de la Banque de Suède, en mémoire d’Alfred Nobel, de l’année 1999 au

Professeur Robert A. Mundell, Columbia University, New York, États-Unis

pour son analyse de la politique monétaire et fiscale dans différents systèmes de taux de change ainsi que pour son analyse des zones monétaires optimales.

Politique économique, taux de change et mobilité du capital
Robert Mundell a posé les fondements de la théorie qui domine les choix concrets de politique monétaire et fiscale en économie ouverte. Ses travaux sur la dynamique monétaire et les zones monétaires optimales ont inspiré plusieurs générations de chercheurs. Bien que datant de quelques dizaines d’années, la contribution de Mundell reste toujours exceptionnelle et constitue le cœur de l’enseignement de la macro-économie internationale.

Les travaux de Mundell ont eu un écho aussi retentissant que durable car ils permettent à la fois une analyse formelle – mais toujours accessible – avec une interprétation intuitive et des résultats concrets pour la politique économique. Avant tout, Mundell a réfléchi avec une acuité peu commune – quasi prophétique – aux problèmes de l’évolution future des dispositions monétaires internationales et des marchés de capitaux. La contribution de Mundell prouve magistralement l’importance de la recherche fondamentale. Pendant un certain temps, les travaux universitaires peuvent paraître ésotériques mais peu de temps après, leurs applications pratiques peuvent être considérables.

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Comment les impacts de la politique monétaire et fiscale sont liés à l’intégration des marchés internationaux de capitaux? Ces effets sont-ils différents si un pays a fixé la valeur de sa monnaie ou s’il la laisse flotter librement? Un pays doit-il avoir sa propre monnaie? C’est en posant ces questions et en y répondant que Robert Mundell a restructuré la macro-économie en économie ouverte. Ses contributions les plus importantes datent des années 1960. Il fut, pendant la seconde partie de cette décennie, un des chefs de file du mouvement intellectuel et innovateur des chercheurs de l’Université de Chicago. Nombre de ses étudiants de cette époque sont devenus des chercheurs talentueux dans la même discipline en continuant à construire sur les bases définies par Mundell.

Les contributions scientifiques de Mundell sont originales. Cependant, elles ont rapidement transformé le champ de la recherche macroéconomique internationale en attirant de plus en plus l’attention sur les choix pratiques de politiques de stabilisation et de systèmes de taux de change. De 1961 à 1963, Mundell travailla au département de la recherche du Fonds Monétaire International ce qui l’encouragea apparemment dans ses choix de recherche; en outre, cela lui permit d’accroître son influence auprès des décideurs économiques.

Les effets de la politique de stabilisation
Dans plusieurs articles publiés au début des années 60 – et repris dans son ouvrage International Economics (1968) – Robert Mundell a développé son analyse de la politique monétaire et fiscale que l’on appelle la politique de stabilisation en économie ouverte.

Le modèle de Mundell-Fleming
Un article précurseur (1963) traite des effets à court terme de la politique monétaire et fiscale en économie ouverte. L’analyse y est simple mais les conclusions sont multiples, solides et claires. Dans cet article, Mundell introduit le commerce extérieur et les mouvements de capitaux dans le modèle d’économie fermée appelé IS-LM et développé à l’origine par le lauréat de 1972 Sir John Hicks. Cela lui permet de montrer comment les effets d’une politique de stabilisation dépendent du degré de mobilité du capital. En particulier, il démontre le rôle primordial joué par le système de taux de change: dans un système de taux de change variable, la politique monétaire devient un outil efficace alors que la politique fiscale ne l’est pas, et vice versa dans un système de taux de change fixe.

Dans le cas intéressant d’une mobilité du capital élevée, les taux d’intérêt national et international coïncident (le taux de change étant supposé fixe). Avec un taux de change fixe, la banque centrale doit intervenir sur le marché monétaire pour satisfaire la demande en monnaie étrangère. Ainsi la banque centrale perd le contrôle de la masse monétaire qui s’ajuste automatiquement à la demande (les liquidités nationales). Les tentatives de mise en œuvre de politiques nationales indépendantes en recourant aux opérations que l’on appelle d'”open market” ne donnent aucun résultat, car ni le taux d’intérêt ni le taux de change ne peuvent être modifiés. En revanche, une augmentation des dépenses publiques ou d’autres mesures fiscales permet un accroissement de l’activité économique et du revenu national, qui ne peut être freiné par une hausse des taux d’intérêt ou par un taux de change plus fort.

Un taux de change variable est déterminé par les forces du marché car la banque centrale se prive d’intervenir sur la monnaie. Dans ce cas, la politique fiscale devient inefficace. La politique monétaire étant inchangée, une augmentation des dépenses publiques provoque une plus grande demande de monnaie et tend à renchérir les taux d’intérêt. Les mouvements de capitaux entrant dans le pays renforcent la monnaie au point qu’un faible excédent de la balance commerciale annihile les effets expansionnistes de l’accroissement des dépenses publiques. Cependant, dans un système de taux de change variables, la politique monétaire devient un instrument efficace pour influencer l’activité économique. Une augmentation de la masse monétaire entraîne une baisse des taux d’intérêt qui attire les capitaux et affaiblit la monnaie, ce qui favorise l’expansion économique en augmentant l’excédent de la balance commerciale.

Si un taux de change variable et une forte mobilité du capital caractérisent le système monétaire actuel de nombreux pays, l’analyse de ces éléments, au début des années 60, a dû passer pour une curiosité académique. À l’époque, presque tous les pays étaient liés par des taux de change fixes au sein de ce qu’on appelait le système de Bretton-Woods. Les mouvements de capitaux internationaux étaient également fortement limités, en particulier à cause d’importants contrôles des changes et des mouvements de capitaux. Toutefois, pendant les années 1950, le Canada – le pays de Mundell – avait laissé le cours de sa monnaie flotter par rapport au dollar américain et avait commencé à lever les restrictions. Son analyse de précurseur devint de plus en plus pertinente dans les années 60 avec l’ouverture des marchés internationaux de capitaux et la chute du système de Bretton-Woods.

Marcus Fleming (décédé en 1976) était directeur adjoint du département de la recherche du Fonds Monétaire International depuis de nombreuses années lorsque Mundell le rejoignit. À peu près à la même époque, Fleming présenta une analyse de la politique de stabilisation en économie ouverte semblable à celle de Mundell, ce qui explique que l’on cite le modèle de Mundell-Fleming dans les manuels. Cependant la contribution de Mundell prédomine en profondeur, en portée et en force d’analyse.

Le modèle original de Mundell-Fleming a sans conteste ses limites. Par exemple, à l’instar de toute l’analyse macroéconomique de cette époque, les hypothèses sur les anticipations dans les marchés financiers sont très simplifiées et les prix sont rigides à court terme. Plus tard, des chercheurs ont pallié à ces insuffisances en montrant que l’ajustement graduel des prix et les anticipations rationnelles pouvaient être incorporés dans l’analyse sans en changer notablement les résultats.

La dynamique monétaire
Contrairement aux autres chercheurs de cette époque, Mundell ne s’est pas contenté d’analyses de court terme. Une analyse monétaire dynamique constitue la question centrale dans certains de ses articles importants. Il a surtout mis en relief des différences de vitesse d’ajustement de l’offre et de la demande sur divers marchés (the principle of effective market classification). Plus tard, ces différences ont été mises en lumière par ses propres étudiants et d’autres chercheurs qui ont montré comment le taux de change pouvait temporairement “rater son but” lors de certains dysfonctionnements.

Pendant la période de l’après-guerre, les déficits et les excédents de la balance des paiements constituaient un problème d’envergure. Toutes les recherches sur ces déséquilibres étaient basées sur des modèles statiques qui mettaient l’accent sur les facteurs de l’économie réelle et les flux du commerce extérieur. Inspiré par le mécanisme classique d’ajustement des prix au niveau international de David Hume axé sur les facteurs monétaires et les réserves, Mundell a défini des modèles dynamiques pour décrire comment des déséquilibres durables pouvaient surgir et être éliminés. Il a démontré qu’une économie s’adapte progressivement selon l’impact des excédents ou les déficits des balances sur les avoirs financiers du secteur privé (et donc sur sa richesse). Dans un système de taux de change fixe, par exemple, quand les mouvements de capitaux sont lents, une politique monétaire expansive réduira les taux d’intérêt et accroîtra la demande intérieure. Le déficit de la balance des paiements qui s’ensuivra, donnera naissance à un flux monétaire vers l’étranger qui à son tour réduira le niveau de la demande jusqu’au retour à l’équilibre de la balance des paiements. Cette approche, reprise par de nombreux chercheurs, sera appelée l’approche monétaire de la balance de paiements. Pendant longtemps,elle a constitué une référence pour l’analyse de la politique de stabilisation en économie ouverte. Les enseignements de cette analyse ont été fréquemment utilisés dans la mise en œuvre de politiques économiques – en particulier par les économistes du F.M.I.

Avant Mundell, non seulement la théorie de la politique de stabilisation adoptait une analyse statique mais affirmait également que toutes les mesures de politique économique dans un pays devaient être coordonnées et rassemblées par une seule autorité. Mundell a utilisé un modèle dynamique simple pour examiner si les instruments monétaire et fiscal devaient avoir pour objectifs soit l’équilibre interne, soit l’équilibre externe, soient les deux, afin d’atteindre à terme ces objectifs. Ceci implique que l’une des deux institutions – le gouvernement ou la banque centrale – soit responsable de sa propre politique de stabilisation. La conclusion de Mundell est claire : pour éviter l’instabilité économique, il faut tenir compte de l’efficacité relative des instruments, c’est-à-dire associer la politique monétaire à l’équilibre externe et la politique fiscale à l’équilibre interne. La préoccupation première de Mundell n’a pas été la décentralisation des pouvoirs en soi, mais en précisant les conditions de celle-ci, il est devenu le précurseur d’une idée devenue longtemps après communement acceptée, l’idée que la banque centrale doit être indépendante et responsable de la stabilité des prix.

Les travaux de Mundell dans ce domaine s’avèreront être un grand tournant dans la recherche macro-économique internationale. Ils se caractérisent par une approche dynamique pertinente, basée sur une distinction très nette entre les variables de flux et de réserves ainsi qu’une analyse de leur interaction pendant la période d’ajustement d’une économie vers une stabilité durable. Les travaux de Mundell posaient également les bases du rapprochement nécessaire entre les analyses à court terme de Keynes et les analyses à long terme des classiques. Ses modèles ont été développés en incorporant les décisions à terme des ménages et des entreprises, plusieurs autres types d’actifs financiers ainsi que des ajustements plus complets des prix et de la balance des paiements. Malgré ces modifications, la plupart des résultats de Mundell sont encore valables.

Les analyses de court terme et de long terme de Mundell aboutissent à la même conclusion fondamentale sur les conditions de mise en œuvre d’une politique monétaire. Dans le cadre (i) d’une libre circulation des capitaux, la politique monétaire peut choisir soit (ii) un objectif externe – comme le taux de change – ou (iii) un objectif interne (national) – comme le niveau des prix – mais pas les deux en même temps. Cette trinité incompatible est indiscutable pour les économistes du monde universitaire; aujourd’hui, la majorité des intervenants dans les discussions pratiques adhèrent aussi à cette idée.

Les zones monétaires optimales
Comme on l’a déjà souligné, les taux de change fixe étaient prédominants au début des années 1960. Seuls quelques chercheurs discutaient des avantages ou des désavantages des taux de change variables. Mais personne ne remettait en cause l’existence d’une monnaie nationale. C’est pourquoi la question posée par Mundell dans son article sur “les zones monétaires optimales” en 1961 est apparue radicale. Quand devenait-il profitable pour un certain nombre de pays d’abdiquer leur souveraineté monétaire au profit d’une monnaie commune?

L’article de Mundell passe en revue rapidement les avantages d’une monnaie commune, comme la baisse des coûts de transaction et une réduction de l’incertitude sur les prix relatifs. Il décrit plus en détail les inconvénients. Le plus gros désavantage est que si une région particulière veut maintenir l’emploi, elle doit réduire les salaires réels lors d’une évolution de la demande ou lors d’autres “chocs asymétriques”. Mundell souligne l’importance d’une mobilité élevée du travail afin de pallier à de tels dysfonctionnements. Pour lui, une zone monétaire optimale est un ensemble de régions avec une propension à migrer suffisamment grande pour assurer le plein-emploi quand l’une des régions fait face à un choc asymétrique. D’autres chercheurs ont développé sa théorie et identifié d’autres critères, comme la mobilité du capital, la spécialisation du pays et un système commun de fiscalité et de transfert. Cependant, la manière dont Mundell a formulé le problème à l’origine continue d’influencer des générations d’économistes.

Les problématiques soulevées par Mundell, il y a plusieurs décennies sont furieusement d’actualité. La mobilité sans cesse plus accentuée des capitaux dans l’économie mondiale a fragilisé les systèmes de taux temporairement fixés mais ajustables qui sont également de plus en plus remis en question. L’union monétaire ou les taux de change variables – les deux cas définis dans l’article de Mundell – sont considérés par de nombreux observateurs comme les alternatives les plus appropriées. Il va sans dire que l’analyse de Mundell n’est pas passé inaperçue dans le contexte de la monnaie unique européenne. Les chercheurs qui ont analysé les avantages et les inconvénients de l’U.E.M. ont pris comme point de départ naturel l’idée d’une zone monétaire optimale. En effet, un problème essentiel dans ce contexte est la mobilité des travailleurs comme réponse aux chocs asymétriques.

Autres contributions
Mundell a apporté d’autres contributions à la macro-économie. Il a montré comment une augmentation de l’inflation peut inciter les investisseurs à réduire leur trésorerie pour augmenter notablement leur capital fixe. Ainsi même une anticipation de l’inflation peut avoir un effet sur l’économie réelle, ce qui par la suite a été appelé l’effet Mundell-Tobin. Mundell a aussi apporté une contribution durable à la théorie du commerce international. Il a démontré comment la mobilité internationale du travail et du capital tendait à égaliser les prix des marchandises entre les pays, même si les barrières douanières entravent le commerce international. Cette théorie peut être considérée comme le pendant de la fameuse théorie de Heckscher-Ohlin-Samuelson selon laquelle le libre échange tend à égaliser les rémunérations du travail et du capital entre les pays, même si les mouvements de capitaux et les migrations sont limités. Ces résultats ont une valeur prédictive indiscutable : les barrières douanières stimulent la mobilité internationale du capital et de la main-d’œuvre alors que les obstacles aux migrations et aux mouvements de capitaux favorisent les échanges de biens.

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Liste d’ouvrages conseillées

De plus amples informations sont disponibles dans Background in English (pdf) ainsi que dans

Mundell, R.A. (1961), “A Theory of Optimum Currency Areas”, American Economic Rewiew 51: p. 657-665.

Mundell, R.A. (1963), “Capital Mobility and Stabilization Policy under Fixed and Flexible Exchange Rates”, Canadian Journal of Economics 29 : p. 475-485.

Mundell, R.A. (1968), International Economics (New York: MacMillan).

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Robert A. Mundell est né au Canada en 1932. Après avoir fait ses études de premier et deuxième cycles à l’University of British Columbia et à l’University of Washington, il commenca son troisième cycle à la London School of Economics et obtint son doctorat au M.I.T. en 1956 avec une thèse sur les mouvements internationaux de capitaux. Après avoir occupé plusieurs chaires de professeur, il est attaché à la Columbia University de New York depuis 1974.

Professor Robert A. Mundell
Economics Department, Columbia University
1022 International Affairs Building
420 West 118th Street
New York, NY 10027
USA

Le montant du prix s’élève à SEK 7,900,000.

 

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