François Jacob

Banquet speech

François Jacob’s speech at the Nobel Banquet in Stockholm, December 10, 1965 (in French)

Sire, Altesses Royales, Mesdames, Messieurs.

Je vous exprime ma profonde gratitude pour la distinction dont vous m’honorez aujourd’hui. Chacun de nous, à vingt ans, a rêvé de transformer le monde. Chacun de nous, à quarante ans, sait qu’il ne le fera pas. Au mieux peut-il espérer, avec de la chance, apporter quelque contribution au capital de vérités, de recettes et d’idées que l’homme amasse lentement. C’est là, je pense, la signification qu’Alfred Nobel a voulu donner aux prix qu’il a créés. Pourtant, l’homme de science se nourrit des contradictions qui sont à la source même de toute recherche. C’est dire que la lumière quelque peu éblouissante dans laquelle votre décision l’a placé, lui et son œuvre, ne peut tout à la fois que l’embarraser, le ravir, et même l’effrayer. L’embarrasser parce qu’il mesure à quel point une telle distinction dépasse ses mérites personnels pour s’étendre à l’ensemble d’une science et de ceux qui la font progresser. Le ravir, parce que, si modeste qu’il se veuille, il éprouve le besoin d’être reconnu et qu’il voit son travail recevoir ici la plus solennelle des consécrations. L’effrayer aussi, parce que l’aspect officiel même de cette reconnaissance s’accorde mal au doute et à l’inquiétude nécessaires à un travail qu’il entend poursuivre. ” Nous ne cherchons jamais les choses, disait Pascal, mais la recherche des choses “.

Si je vous ai exprimé mes incertitudes et mes scrupules, c’est parce que je me sens ainsi plus à l’aise pour rendre ici hommage au rôle que joue la Fondation Nobel dans le développement de la science. Par leur objectivité et leur indépendance, les Comités Nobel sont parvenus à donner aux prix qu’ils décernent un prestige unique. Et si la science fondamentale se voit, un jour par an, émerger de sa nécessaire obscurité, si son rôle dans notre évolution et notre culture est aujourd’hui admis par tous, si les pouvoirs politiques mêmes accordent à la recherche un soutien chaque jour croissant, c’est pour une large part grâce à la façon dont vous avez interprété et réalisé la volonté d’Alfred Nobel.

Je voudrais enfin vous exprimer toute la joie que j’éprouve, ainsi que les miens, à participer à cette cérémonie dont vous avez su faire la fête annuelle de l’esprit. Par son éclat, par sa signification, par toutes ces présences illustres, cette fête revêt un aspect quelque peu irréel. D’autant plus qu’elle nous donne la mesure de ce que le monde pourrait devenir si les progrès des relations entre les hommes s’accordaient aux progrès de l’esprit. De cette journée, de votre générosité, de la chaleur de votre accueil, je vous remercie très profondément


Mr Jacob, Address to the University Students on the Evening of December 10, 1965 (in French)

Messieurs les étudiants,

Je ne veux pas seulement vous remercier de l’hommage que vous venez apporter aux lauréats du Prix Nobel, mais vous dire aussi que sans vous, cette fête ne serait pas complète et ne prendrait pas toute sa signification. Vous êtes la jeunesse, c’est-à-dire l’avenir.

Notre génération a dû subir de terribles épreuves et le premier souhait que nous voulions formuler, c’est que la vôtre n’ait pas à en connaître de semblables. Cependant, même dans la paix, même dans les progrès scientifiques et techniques qui s’ouvrent aujourd’hui, si elle le veut, à l’humanité tout entière, une très lourde tâche vous attend. L’homme a peu à peu transformé ses notions de matière, de temps, d’espace et de vie; mais il n’a pas encore su modeler en conséquence ses valeurs spirituelles et son ordre social. Trop souvent il continue à croire, à penser, à agir même, selon des rites nés il y a plus de vingt siècles.

Devant les progrès de la connaissance, les dieux se meurent et les mystiques s’essoufflent. De là ces anxiétés, ces conflits, ces dangers que dressent devant nous nos contradictions mêmes. Et l’homme redécouvre chaque jour qu’il ne vit pas seulement de pain. D’autant moins que ce pain devient plus blanc et qu’il est produit par des machines plus parfaites.

Mais s’il est vrai que la science a remis eu question nos valeurs traditionnelles, il est faux de dire qu’elle nie l’humanisme ou qu’elle s’y oppose. De leur alliance, au contraire, doivent naître les valeurs nouvelles que les civilisations modernes cherchent avec angoisse. Cet accord entre ce que nous savons et ce que nous faisons, cet accord que nous n’avons pas encore réussi à établir, peut-être votre génération, Messieurs les étudiants, saura-t-elle y parvenir. Et c’est parce que cette journée Nobel, chaque année renouvelée avec tant d’éclat, met en lumière, non des hommes, mais la recherche de l’homme, qu’elle est à la mesure de notre espoir. Un espoir qui repose sur vous, Messieurs les étudiants. Et votre présence ici, ce soir, justifie notre confiance.

Copyright © The Nobel Foundation 1965

To cite this section
MLA style: François Jacob – Banquet speech. NobelPrize.org. Nobel Prize Outreach AB 2024. Sat. 21 Dec 2024. <https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/1965/jacob/speech/>

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