Award ceremony speech

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© The Nobel Foundation, Stockholm, 2018.
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Discours de la Présidente du Comité Nobel norvégien Berit Reiss-Andersen, Oslo, 10 décembre 2018

Vos Majestés, Vos Altesses Royales, Honorables lauréats, Excellences, Honorables invités, Mesdames et Messieurs,

Le comité Nobel norvégien a décidé que le prix Nobel de la Paix 2018 sera décerné à Denis Mukwege et Nadia Murad pour leur lutte contre la violence sexuelle utilisée comme arme en période de conflit armé. Leur lutte commune peut se résumer en trois simples points:

­- Le viol et autres violences sexuelles sont une arme inacceptable dans tous les conflits armés.
­- Le viol systématique comme élément d’une stratégie militaire en période de conflit armé, est un crime de guerre.
­- Les responsables de crimes de guerre doivent être punis et leur impunité doit cesser.

Les lauréats ont en commun ce message. La lutte pour la justice les unit, malgré une histoire très différente. Denis Mukwege est un Congolais d’âge mûr. Nadia Murad est une jeune Yézidie. Ils sont pourtant apparentés, comme ils sont parents de toutes les victimes d’exactions.

Ils nous rappellent les mots d’une autre lauréate du prix Nobel de la Paix, Tawakkol Karman du Yémen,  qui a aussi reçu son prix pour sa lutte pour les droits des femmes. Elle a déclaré à cette même tribune : «L’injustice qui frappe un individu, frappe l’humanité toute entière». Mme Karman, une femme arabe musulmane, nous a rappelé le combat que les femmes mènent dans les sociétés dominées par les hommes, et affirmé que cette lutte est une lutte pour la dignité et les droits des hommes comme celle et ceux des femmes. Elle a dédié son prix à «toutes ces femmes que l’histoire et la sévérité des systèmes de gouvernement ont rendu invisibles, à toutes ces femmes qui se sont sacrifiées pour la cause d’une société saine où les relations entre hommes et femmes seraient équitables, à toutes ces femmes qui avancent toujours en trébuchant sur la voie de liberté dans des pays dépourvus de justice sociale ou d’égalité des chances».

Les lauréats du prix 2018 s’inscrivent dans une longue tradition de combattants pour la dignité humaine, et marchent sur les traces de Tawakkol Karman et d’autres lauréats qui ont œuvré pour mettre en avant la lutte des femmes et leur oppression. C’est le rêve de mettre fin à cette oppression qui nous unit lorsque nous célébrons aujourd’hui deux des voix les plus puissantes du monde actuel. Nous sommes particulièrement heureux de fêter ces lauréats en ce jour, qui est aussi le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits humains des Nations-Unies, un document qui affirme que tous les êtres humains sont nés libres et égaux en droits et en dignité. La violence sexuelle est aussi la violation de ces droits fondamentaux.

De 1997 à ce jour, la guerre au Congo a coûté la vie à près de six millions de Congolaises et de Congolais. Le médecin Denis Mukwege a observé parmi ses patients un nombre toujours croissant de femmes souffrant de blessures causées par des de viols et des violences sexuelles aggravées. Des soldats de tous les bords du conflit attaquent des jeunes femmes. Ils attaquent des femmes âgées. Ils attaquent des enfants. Ils le font pour les blesser, pour les casser, mais aussi pour disloquer et démoraliser la société où elles vivent. Les violences sexuelles graves frappent la victime, elles frappent sa famille, elles frappent tout le village et la communauté dont ces femmes font partie. Une femme qui a été violée par parfois une trentaine de soldats, ne peut pas simplement tourner la page et continuer comme avant.

En tant que médecin, Denis Mukwege a su voir le sort de ces femmes, leur privation de soins appropriés et de soutien social. Il a créé l’hôpital de Panzi pour proposer des soins à ces milliers de femmes victimes de ces crimes de guerre. Il est aujourd’hui l’un des meilleurs chirurgiens au monde pour le traitement de dommages physiques causés par des viols graves et répétés. L’hôpital de Panzi propose par ailleurs des traitements pour les traumatismes et fait un travail déterminé pour ramener les patientes à la société. En conséquence des abus subis, les femmes ont souvent perdu leur famille et le soutien de leur communauté locale. Sans les efforts du Dr Denis Mukwege et de son équipe à l’hôpital de Panzi, ces femmes seraient restées seules.

Denis Mukwege a aidé ces femmes en tant que médecin, mais aussi comme porte-parole engagé de leur cause et de leur dignité humaine. Son but a été de dire au monde ce qui se passe, de demander que les souffrances de ces femmes soient reconnues, et que leurs bourreaux soient tenus pour responsables. Denis Mukwege s’est fait des ennemis en se plaçant sans condition au côté des victimes. Lui-même et son équipe ont subi des menaces, des tentatives d’assassinat et des campagnes de dénigrement. En 2012, un de ses gardes du corps a été tué dans une attaque visant le Dr Mukwege et sa famille. Pour certains, il est manifestement insupportable que l’on défende la cause des femmes.

Denis Mukwege, nous vous remercions aujourd’hui parce que vous avez su voir la souffrance et consacré votre vie à la lutte pour les femmes et contre la violence sexuelle.

Nadia Murad a grandi à Kocho, un village yézidi. Elle y avait une bonne vie dans sa grande famille et rêvait de ce dont rêvent la plupart des filles : d’une éducation, mais aussi de maquillage et de vêtements. Tous ces rêves ont volé en éclats avec l’arrivée de la guerre à Kocho. En 2014, Daech avait lancé une offensive pour prendre le contrôle du Nord de l’Irak et y exterminer la minorité yézidie. Nadia Murad a vu l’exécution brutale de sa mère et le meurtre de six de ses frères. Les femmes jeunes et les filles encore mineures ont été épargnées, car un autre sort cruel leur était réservé. Prisonnières de Daech, elles ont été emmenées de force à Mossoul pour y servir d’esclaves sexuelles. Chacune d’elles était une marchandise, un objet qui pouvait s’acheter au marché des esclaves, être utilisé, jeté, vendu ou donné en cadeau. Les femmes devaient passer de main en main, être traitées de manière brutale et humiliante, afin de les briser définitivement. Le but ultime était l’extermination des Yézidis. Le plan était de tuer les hommes et de violenter les femmes, pour qu’elles soient ensuite rejetées par leur propre communauté. La manière la plus efficace de détruire une société est, semble-t-il, d’en détruire les femmes.

Il est incompréhensible que l’extermination d’un groupe ethnique et les exactions contre des individus puissent prétendre se fonder sur une croyance religieuse.

Nadia Murad est la victime de crimes de guerre et a subi les pires abus et les violences les plus horribles. Dans son autobiographie, elle a décrit le choc, la douleur, l’angoisse et l’humiliation. Elle a parfois été tentée d’abandonner, mais a gardé en elle une résistance qui n’a jamais été brisée. Elle est parvenue à s’enfuir, une nouvelle prouesse en soi. Quand elle reçoit aujourd’hui le prix Nobel de la Paix, c’est pourtant avant tout pour le travail entrepris après sa détention par Daech. Elle a défié les codes sociaux de la honte et du silence, et osé décrire les abus commis contre elle et des milliers de femmes et d’enfants yézidis. Elle a rompu avec la stigmatisation qui a frappé des millions de femmes victimes de violences sexuelles pendant les guerres. Elle a voué sa vie au témoignage contre les crimes de guerres, à veiller à ce que le monde ne les oublie pas.

Nadia Murad, nous vous remercions pour votre courage exceptionnel.

Mesdames et Messieurs, Denis Mukwege comme Nadia Murad ont apporté des contributions importantes à la lutte contre ce type de crimes de guerre en mettant en lumière les souffrances qui ont frappé les femmes en Irak, au Congo et partout ailleurs dans le monde où les violences sexuelles ont servi d’arme. Nous devons connaître ces crimes pour pouvoir les combattre. La guerre menée contre les femmes par la violence sexuelle a été une guerre cachée. Lorsque s’ouvrent les pourparlers de paix et les accords de justice transitionnelle, ces crimes ne font que rarement partie de l’ordre du jour.

La représentante spéciale des Nations-Unies contre la violence sexuelle dans les guerres et les conflits, Mme Zainab Hawa Bangura, l’a déclaré avec précision : «La violence sexuelle dans les conflits doit être traitée comme le crime de guerre qu’elle est ; elle ne peut plus être traitée comme un malheureux dommage collatéral de la guerre.»

Mesdames et messieurs, la compréhension de la position particulièrement exposée des femmes dans les guerres a progressé. Le problème est ancien, mais la volonté d’établir une protection légale des femmes dans les conflits armés est relativement neuve.

Le Statut de Rome de 1998 jette les bases juridiques de la Cour pénale internationale et définit entre autres le viol et l’esclavage sexuel comme des crimes de guerre lorsque ces actes s’inscrivent dans une attaque systématique d’une population civile. Ces mêmes principes ont été invoqués par les tribunaux qui ont traité les crimes de guerre commis au Rwanda et dans l’ex-Yougoslavie (TPIR et TPIY). Ces tribunaux ont aussi condamné des personnes qui avaient utilisé le viol systématique comme élément d’une attaque généralisée contre une population civile. Le Conseil de sécurité de l’ONU les a suivis par sa Résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité, qui a été adoptée en 2000. La dernière Résolution 1820 de 2008 sur la violence sexuelle dans les guerres fait un pas de plus et affirme que la violence contre les femmes en période de conflit armé est une menace contre la paix internationale et la sécurité. Il est important que les instances internationales établissent de telles normes juridiques et politiques, mais il est de notre devoir à tous de les faire respecter. Denis Mukwege a tout à fait raison lorsqu’il déclare : «La justice est l’affaire de tout le monde.»

Denis Mukwege et Nadia Murad ont chacun de leur côté déployé de remarquables efforts pour faire avancer ce processus. Ils sont tous deux parvenus à communiquer l’ampleur des abus et à demander des poursuites pénales contre tous les responsables de ces exactions. Ils ont ainsi répondu à plusieurs critères fondamentaux du testament d’Alfred Nobel. Leur travail est en réalité une contribution au désarmement. La violence sexuelle est une arme insupportable dont on ne peut accepter l’usage dans les conflits armés. Mais avant tout, ils ont contribué à ce qu’Alfred Nobel appelait « la fraternisation des peuples ». Ils nous ont montré que dans les guerres, la souffrance humaine est universelle. Ils ont prouvé que les femmes sont souvent les victimes invisibles des horreurs de la guerre. Ils ont tous deux appelé à lutter contre l’injustice par la justice. Les crimes de guerre doivent être punis, c’est une responsabilité commune que le monde entier doit porter. Ils ont ainsi pleinement mérité de recevoir le prix de la Paix institué par Alfred Nobel.

Mesdames et messieurs, ce prix engage Denis Mukwege et Nadia Murad à poursuivre leur travail d’une importance capitale. Dans le même temps, ce prix nous engage aussi tous à faire front avec ceux qui luttent contre la violence sexuelle dans les conflits armés. Ce n’est qu’ainsi que le message optimiste de Nadia Murad, dans son autobiographie Pour que je sois la dernière, deviendra réalité. Nous devons ensemble contribuer à ce que sa génération de filles et de jeunes femmes soit la dernière qui soit victime de la barbarie des violences sexuelles dans les conflits armés.

 

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MLA style: Award ceremony speech. NobelPrize.org. Nobel Prize Outreach AB 2024. Sun. 30 Jun 2024. <https://www.nobelprize.org/prizes/peace/2018/55696-award-ceremony-speech-2/>

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