Charles Edouard Guillaume

Banquet speech

Charles-Edouard Guillaume’s speech at the Nobel Banquet in Stockholm, December 10, 1920 (in French)

Altesses, Mesdames, Messieurs,

Lorsque s’approchent les cérémonies consacrées à la proclamation des Prix Nobel, c’est, disait il y a un instant l’illustre Professeur Montelius, une joie pour l’Académie, pour la science suédoise, pour la Suède tout entière, de penser que l’on fêtera les heureux lauréats; joie, dirai-je, des belles âmes, à qui rien n’est plus doux que de créer le bonheur. Mais, à ce sentiment, un autre répond : c’est la joie qui se répand avec la vitesse de l’éclair dans chaque pays qui compte, parmi ses enfants, un lauréat du Prix Nobel. Pour moi, le bonheur fut doublement précieux, car deux pays se sont réjouis, en mon nom, dans une fraternelle communauté de sentiment: la Suisse, dont je suis un citoyen et à laquelle me rattachent tous mes souvenirs d’enfance et de jeunesse, la France, où s’est accomplie presque toute ma carrière d’homme de science, et où de précieuses amitiés m’ont montré le chemin.

Les fêtes Nobel marquent le point culminant de la vie d’un homme voué à la recherche scientifique; elles y laissent d’impérissables traces. Mais elles ont, parmi d’autres grands privilèges, celui de lui permettre de connaître votre beau pays, et aussi de vous connaître.

Bien avant d’arriver à Stockholm, nous avons éprouvé, ma femme et moi, les effets de la proverbiale bonté suédoise, en la personne de M. Emanuel Nobel, qui a donné tant de charme et d’agrément aux dernières heures de notre voyage, dont il aplanit toutes les difficultés en s’instituant notre guide affectueux.

Et que de jolies impressions déjà recueillies! Lorsque, au petit jour, nous approchions de Stockholm, et que nous traversions la campagne suédoise, si étrangement semblable aux pâturages du Jura, nous voyions défiler, le long des voies, ces maisons coquettement simples, de riantes couleurs, et d’un aspect si avenant, qu’il nous semblait les entendre nous dire: “Entrez, vous serez les bienvenus.” Et cette impression s’est poursuivie et s’est précisée au contact du chaleureux accueil dont nous avons été l’objet, et de toutes les marques de sympathie qui sont venues à nous, dans ces deux journées, dont chaque heure est marquée d’un caillou blanc.

Nous redoutions un peu les crépuscules qui succèdent de près à l’aurore, la longue nuit des pays septentrionaux. Pourtant, dans l’air limpide, les lumières apparaissent au loin. C’est la nuit, assurément, mais la nuit claire. Et tout semble clair ici. Dans les rues, notre regard rencontre des yeux limpides, révélant des âmes limpides.

Apprendre à connaître le peuple suédois, entrer en relations directes avec les conducteurs de sa pensée, avec les hommes qui entretiennent lumineux le phare de la science suédoise, dignes continuateurs d’un illustre passé, c’est une fête pour le cœur, une fête pour l’esprit.

Mathématiques, astronomie, physique, chimie, sciences naturelles, exploration, en tous ces domaines, que l’humanité fouille depuis longtemps, de grands noms s’imposent: Linné, Scheele, Berzelius, Angström, Nordenskjöld, pour ne nommer que des disparus. Et, dans une science toute jeune, la physicochimie, puisqu’il faut nommer un vivant, le nom de Svante Arrhenius vient à la pensée de tous.

Mais c’est d’une science bien spéciale que je voudrais surtout vous parler. En ma personne, vous avez voulu honorer la métrologie, au progrès de laquelle j’ai voué mon labeur, dans l’établissement mondial qui lui est consacré, et vous l’avez mise en vive lumière.

Cette science a été, dans votre pays, cultivée par des maîtres illustres.

Berzelius, avec la collaboration de Svanberg et d’Åkerman, a voué une recherche à l’un des plus difficiles de ses problèmes, celui de la relation des masses aux volumes, problème si délicat, qu’il était, jusqu’à ces tout derniers temps, à l’ordre du jour des recherches pendantes, et que, pour marquer un temps d’arrêt, un groupe d’expérimentateurs a dû lui consacrer, pendant des années, toutes les ressources que la métrologie moderne mettait à notre portée.

Anders-Jonas Ångström voulut déterminer la longueur des ondes lumineuses. Sa part de travail reste excellente; mais il vécut dans de cruelles angoisses à la pensée que le mètre dont il s’était servi était incertain, et qu’il n’avait aucun moyen d’en connaître la valeur exacte. Lorsque le Bureau international des Poids et Mesures eut été complètement organisé, ce mètre lui fut envoyé, et sa nouvelle valeur permit de rectifier les nombres provisoires du grand physicien d’Upsal.

Puis Robert Thalén s’engagea dans la voie ouverte par son prédécesseur. Les valeurs des réseaux qui furent, pendant bien des années, les compagnons de son travail, étant bien connues, les longueurs d’onde qu’il détermina furent d’avance en parfaite concordance avec celles qu’une physique plus évoluée permit de fixer dans la suite.

Et, poursuivant cette belle tradition, M. K.-B. Hasselberg, que nous avons tant de regret de ne pas voir assister à cette fête, a puissamment contribué à constituer cet ensemble de données sur lesquelles ont été échafaudées les théories spectrales, auxquelles reste tout particulièrement attaché le nom de I.-R. Rydberg.

Lorsque le problème s’imposa de l’étude précise des mètres prototypes destinés à porter, dans la terre entière, les témoins de l’unité de longueur, ce fut, pour la mesure des dilatations, à l’appareil du baron Wrede que l’on eut d’abord recours. Il constituait, à cette époque, l’étape d’où il fallait partir vers de nouveaux progrès. Le comparateur à dilatation qui m’a constamment servi dans les travaux auxquels vous avez attribué la suprême sanction, était un perfectionnement de celui dont il avait conçu les plans. Et les résultats auxquels j’ai été conduit ont trouvé encore la plus importante de leurs applications scientifiques dans une collaboration avec l’un des vôtres.

La géodésie n’est autre chose, en effet, sous sa forme pratique, que la métrologie appliquée à la détermination des dimensions de la Terre.

M. Edw. Jäderin avait conçu une nouvelle méthode de mesure des bases. Lorsque parut l’invar, il comprit immédiatement qu’en associant le singulier alliage aux instruments qu’il avait créés, la précision des résultats en serait grandement accrue. Et c’est au cours de la célèbre expédition suédo-russe du Spitzberg qui, dans ce coin perdu de Treurenberg Bay, une base fut mesurée pour la première fois au fil d’invar. Ce fut, pour la géodésie, le début d’une évolution qui se poursuit sans relâche. Cette collaboration m’apparaît aujourd’hui comme un symbole.

La métrologie croît sans cesse. De la science, elle pénètre dans l’industrie, dont elle féconde les méthodes. Depuis un quart de siècle, surtout, on voit s’étendre les fabrications par pièces interchangeables, appuyées sur des étalons d’un maniement facile, et réalisées avec une incroyable précision. Certaines idées étaient classiques. M. E.-C. Johansson les a renversées, en réalisant ses merveilleuses cales d’épaisseur à faces planes, d’une si grande perfection, que les procédés de leur établissement restent un mystère jalousement gardé.

Mais pourquoi cette étape de la métrologie industrielle a-t-elle vu le jour précisément en Suède? C’est que les turbines de Laval, les canons Nordenfeldt, les moteurs Diesel, ne sont susceptibles d’un fonctionnement sûr, que si leur construction est réalisée avec une grande précision. Et le choix qui en a été fait par vos industries métallurgiques dénote ce désir de la perfection, qui est l’un des aspects d’une constante recherche de la beauté.

C’est à ce désir de perfection en toutes choses que je lève mon verre, à la perfection elle-même dont la Suède nous donne tant d’exemples, et qui, ce soir, culmine dans les deux régions de l’esprit et du cœur: je bois à la Science suédoise si belle, à l’Amitié suédoise si bonne.

From Les Prix Nobel en 1919-1920, Editor Carl Gustaf Santesson, [Nobel Foundation], Stockholm, 1922

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MLA style: Charles-Edouard Guillaume – Banquet speech. NobelPrize.org. Nobel Prize Outreach AB 2024. Tue. 3 Dec 2024. <https://www.nobelprize.org/prizes/physics/1920/guillaume/speech/>

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