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L’Institut Pasteur est né, en 1888, de la victoire sur la maladie que représentait, pour le monde entier, la vaccination contre la rage par Pasteur.
Le grand homme en science, c’est d’abord celui qui sait discerner les bons problèmes au bon moment, quand il y a une chance de leur apporter quelque solution. C’est aussi celui qui sait s’entourer de bons collaborateurs, trouver parmi ses élèves les éléments capables de devenir ses successeurs et de développer les théories qu’il a émises, les disciplines qu’il a constituées.
Louis Pasteur dans son laboratoire de l’École Normale Supérieure. Gravure d’Adrien Marie publiée dans l’Univers illustré du 2 décembre 1885. Copyright © Institut Pasteur |
Ce qui fut exceptionnel avec Pasteur, c’est qu’après avoir fondé une science et une médecine nouvelles, après s’être entouré d’une pléïade de chercheurs de talent animés d’une même passion, il réussit à installer ses collaborateurs dans un lieu de travail exactement agencé pour leur permettre d’exploiter ses idées. L’Institut érigé pour appliquer le “traitement de la rage après morsure”, mis au point par Pasteur et ses assistants, est construit grâce à une souscription publique. Chacun y participe; y apporte sa contribution; dans tous les pays; les pauvres comme les riches; le facteur d’un bourg normand comme le Tsar de toutes les Russies; un gendarme du Jura comme l’Empereur du Brésil; un braconnier anonyme comme le directeur du Herald Tribune ou le Régiment des Lanciers du Bengale.
Vaccination contre la rage du berger Jupille mordu par un chien. Première injection le 20 octobre 1885. Dernière injection le 30 octobre 1885. Injections effectuées au Laboratoire de Pasteur à l’École Normale Supérieure, rue d’Ulm à Paris.
Copyright © Institut Pasteur
Inauguration de l’lnstitut Pasteur le 14 novembre 1888. Copyright © Institut Pasteur |
Aussi prestigieux qu’ait pu être le baptême, les débuts n’en furent pas moins fort modestes. Un unique bâtiment où s’effectuent vaccination et travaux de recherche et où Pasteur et sa famille sont logés. Cinq services dits “de Microbie”. Cinq savants de formation et de personnalités très diverges réunis autour du Maître; Duclaux, chimiste renommé; Chamberland, agrégé de physique, Grancher, médecin; Metchnikoff, que Roux décrit comme “cet homme de 43 ans accouru du fond de l’Europe, le visage enflammé, l’oeil brillant, les cheveux embrouillés, tout à fait l’air du démon de la science”, et enfin le docteur Roux, l’élève dévoué au Maître.
Portrait de Elie Metchnikoff. Prix Nobel de Physiologie ou de Médecine en 1908.
Photo: par Ph. Nadar vers 1900-1910
Copyright © Institut Pasteur
Après Pasteur, c’est Emile Duclaux qui dirige l’Institut. Aprés Duclaux, Emile Roux. Deux des plus proches collaborateurs du Fondateur. C’est dire que le style est maintenu. Renforcé même avec Roux, personnage austère, sorte de saint laïque qui donne à l’lnstitut un sens du respect hiérarchique, un aspect un peu militaire, un peu froid. Sans famille, servi par les soeurs à l’hôpital Pasteur, Roux était sans besoin et ne concevait pas qu’on pût vivre autrement. A ses yeux, l’honneur d’appartenir à la maison de Pasteur n’avait pas de prix. Il justifiait donc la modestie des salaires. Le dévouement quasi-monacal qui caractérisait Monsieur Roux a longtemps été, est souvent, encore, considéré comme l’un des traits du pastorien modèle.
Portrait d’Emile Duclaux, Directeur de l’lnstitut Pasteur de Paris de 1895 à 1904. | Portrait d’Emile Roux, Directeur de l’Institut Pasteur de Paris de 1904 à 1933. |
Copyright © Institut Pasteur |
L’histoire de l’Institut Pasteur est jalonnée de noms et de découvertes qui marquent l’évolution de la biologie et la lutte contre certains des grands fléaux de l’humanité: la peste avec Yersin ; le paludisme avec Laveran; le typhus avec Nicolle; la diphtérie avec Roux et Ramon; la tuberculose avec Calmette et Guérin; la découverte de certains mécanismes de défense avec Bordet, puis Oudin; celle du bactériophage avec d’Herelle; celle des sulfamides avec les Tréfouël, Nitti et Bovet.
Depuis sa création, l’Institut Pasteur s’est distingué des autres organismes de recherche et d’enseignement par certaines particularités. Particularité de peuplement d’abord. Avec les premiers collaborateurs qu’il s’était choisi, Pasteur avait engendré une espèce nouvelle de chercheur: “le pastorien”. Le pastorien se recrutait un peu partout dans le monde. Il venait parfois de loin, comme le grand Elie Metchnikoff. De formation scientifique ou médicale, le pastorien est longtemps resté en marge des structures et des carrières officielles. Médecin sans clientèle, pharmacien sans officine, chimiste sans industrie, universitaire sans chaire, son statut ne se définissait que par un style et surtout un lieu de travail; il fonctionnait à l’Institut Pasteur. Cette diversité de formations et de talents réunis en un même lieu pour y étudier un même matériel sous ses aspects les plus divers, c’était avant la lettre ce qu’on appelle maintenant la “recherche interdisciplinaire”. Si, aujourd’hui, les pastoriens ont fini par acquérir un statut, leur communauté n’en a pas moins conservé sa diversité puisqu’elle comprend des chercheurs d’origines variées ainsi que de nombreux stagiaires étrangers.
De gauche à droite: François Jacob, Jacques Monod et André Lwoff, Prix Nobel de Physiologie ou de Médecine en 1965. Jacques Monod fut Directeur de l’lnstitut Pasteur de Paris de 1971 à 1976.
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Autre particularité de l’Institut Pasteur: l’étroitesse des liens maintenus entre recherche et applications. Nul peut-être n’a su, mieux que Pasteur, unir ces deux aspects de la science. Cette union, Pasteur l’a reportée sur la structure de son institut, la recherche apportant des idées à une industrie qui, en retour, fournissait des fonds à la recherche. Si l’Institut Pasteur n’est pas devenu le premier centre de l’industrie biologique en Europe, c’est d’abord que les pastoriens n’ont guère montré de don ni d’intérêt pour le commerce et l’industrie. Mais c’est aussi que l’industrie privée ne les a guère aidés. D’où, après la dernière guerre, les difficultés financières de l’lnstitut Pasteur qui avait, jusque-là, vécu de ses ressources propres. En 1974, les pouvoirs publics eurent la sagesse d’attribuer à l’lnstitut une subvention annuelle correspondant à la moitié de son budget, tout en maintenant son status de Fondation privée. En même temps, sous l’impulsion de Jacques Monod, alors directeur, la production Pasteur était séparée de la recherche. Elle est aujourd’hui étroitement associée à deux puissantes industries pharmaceutiques. En gardant ainsi son status de Fondation privée et grâce en particulier à de nombreux dons et legs, I’lnstitut Pasteur a conservé une souplesse, une capacité de réaction aux imprévus de la recherche dont sont trop souvent dépourvus les organismes publics.
Dernière particularité de cet Institut: sa capacité à essaimer à travers le monde. Car l’histoire de cette maison, ce n’est pas seulement une longue série de découvertes. Ce n’est pas seulement non plus une liste de noms, célèbres ou inconnus, toute la cohorte de ceux, chercheurs ou ingénieurs, préparateurs ou techniciennes, ouvriers ou aides de laboratoire qui lentement, patiemment, ont participé au travail et permis à cette maison de devenir ce qu’elle est. C’est aussi la pléïade de ceux qui, formés à l’lnstitut Pasteur, se sont répandus à travers le monde pour étudier sur le terrain les maladies les plus variées. Qui, sur place, ont construit des centres fonctionnant selon les principes qu’on leur avait enseignés à Paris.
Emile Roux et Alexandre Calmette, Directeur de l’lnstitut Pasteur de Lille de 1895 à 1919. Copyright © Institut Pasteur |
En effet Pasteur avait étendu outre-mer son rayon d’action. Il avait dépêché en Extrême-Orient l’un de ses premiers élèves, le jeune médecin militaire Albert Calmette, pour lutter contre la rage et la variole. A Saïgon, Calmette avait installé un laboratoire pour y préparer ses vaccins. Aussitôt, les gens mordus, ceux qui risquaient la rage, avaient afflué d’un peu partout, du Siam, de Java, de Singapour, du Tonkin, du Japon même. En moins de deux ans, Calmette réussit à vacciner près de cinq cent mille personnes.
La filiale de Saïgon n’est que le premier d’une constellation d’Instituts Pasteur outre-mer. De Tahiti à Cayenne, en passant par l’Asie du Sud, le continent africain et le pourtour méditerranéen, nombre de ces Instituts sont, malgré les vicissitudes politiques, restés liés à la maison mère. Ils ont donné, ils donnent toujours aux pastoriens un accès direct à l’etude des maladies tropicales.
Là, dans ces Instituts d’outre-mer, a pu se déployer librement le style Pasteur, la même fougue, la même sûreté de jugement. Avec Alexandre Yersin, par exemple. Etonnant personnage que ce jeune Suisse venu poursuivre ses études de médecine à Paris où, très vite, il en vient à travailler avec l’équipe de Pasteur à l’École Normale d’abord, puis à l’Institut après sa construction. Préparateur de Roux, il travaille avec celui-ci sur la diphtérie où il démontre l’existence et le rôle du “poison”, la première toxine reconnue. Mais ce solitaire a des goûts d’évasion, des envies de mer, de voyage. Il s’engage comme médecin sur un navire des Messageries Maritimes. Puis explore l’lndochine dans tous les sens. C’est alors qu’éclate une épidémie de peste qui envahit la Chine et l’Indochine. Le gouvernement français charge l’ancien pastorien Yersin de se rendre sur les lieux de l’épidémie pour y étudier et combattre la peste. A Hong-Kong, dans des conditions rendues difficiles par la mauvaise volonté des autorités britanniques et par la concurrence hostile d’une mission de microbiologistes japonais, Yersin se met au travail dans une case en bambous recouverte de paille. En quelques jours, il va triompher de son rival japonais, isoler le microbe de la peste et montrer le rôle du rat dans les épidémies.
A. Yersin devant sa payotte à Hong-Kong. Directeur de l’lnstitut Pasteur de Nha Trang de 1895 à 1943.
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Revenu en France, Yersin prépare, à l’Institut Pasteur, un sérum de cheval antipesteux qui protège lapin, rat et souris. Retour en Chine où l’épidémie a repris avec violence. Et là, c’est le premier essai sur l’homme, sur un jeune Chinois déjà fiévreux, prostré, profondément atteint par la maladie. Yersin commence ses injections. En quelques heures, c’est le miracle. La fièvre tombe. Le malade repose guéri. Succès aussi dramatique que dix ans plus tôt, le premier traitement de la rage par Pasteur.
Dessin satirique représentant Pasteur et la rage. Paru dans Le Grelot le 8 août 1885. Copyright © Institut Pasteur |
Les pastoriens n’ont pas hésité, quand l’occasion se présentait, à déborder le domaine strict des maladies infectieuses. A l’lnstitut de Saïgon, fondé lors de la première mission de Calmette, ont commencé les premiers travaux sur les venins de serpent. Voici ce qu’en disait Calmette: “Au mois d’octobre 1891, au moment des grandes pluies, le village de Bac Lien, situé dans la basse Cochinchine, avait été assailli par des bandes de reptiles venimeux appartenant à l’espèce connue sous le nom de Cobra capel, et qui n’est autre que le Naja dont Rudyard Kipling a si bien décrit les curieuses moeurs dans ses Livres de la Jungle. Ces animaux, refoulés jusque dans les cases indigènes, avaient mordu quatre individus, qui succombèrent en quelques heures. Un Annamite, exerçant dans le pays la profession de “psylle” ou “charmeur de serpents” put capturer et enfermer vivants, dans un baril, 19 de ces cobras. L’administration du district eut l’ideé de les adresser à l’Institut Pasteur de Saïgon où l’occasion fut trouvée excellente de reprendre l’étude d’un sujet dont l’intérêt apparaissait considérable au lendemain des découvertes d’ Emile Roux et de Behring sur les toxines et les antitoxines”. Ces travaux devaient conduire à la sérothérapie antivenimeuse. Ils ont des prolongements dans certaines des recherches qui se poursuivent, aujourd’hui encore, à l’Institut Pasteur.
L’oeuvre de Pasteur avait sorti les microbes du ghetto dans lequel ils étaient restés enfermés depuis leur découverte par Leeuwenhoek. Le monde des microbes avait enfin trouvé sa place au sein du monde vivant. Et, en quelques années, l’homme avait eu la surprise de constater que, sans ces microbes, le monde ne serait pas ce qu’il est. Cependant, par leur petite taille, leur absence de structure et la bizarrerie de leur comportement, les microbes demeuraient en marge des autres organismes. En outre, leur importance comme agents pathogènes, leurs fonctions dans les cycles de transformation des éléments, leur rôle dans nombre d’industries, tout cela devait longtemps empêcher d’étudier les microbes pour eux-mêmes, pour leurs propriétés. C’est seulement dans les années 1930 que les travaux des physiologistes et des biochimistes allaient enfin s’intéresser à la biologie des microbes et l’unir à celle des autres organismes. Là encore, c’est un pastorien qui apporta l’un des arguments les plus forts à l’appui de l’unité du monde vivant. En étudiant la nutrition des bactéries, André Lwoff analyse le rôle des facteurs dits de croissance, ces composés qui, comme les vitamines requises pour la croissance et la santé des mammifères, sont nécessaires à la multiplication de certaines bactéries. Lwoff put montrer que ces facteurs de croissance, exigés par certains organismes seulement, sont en réalité des constituents de tous les êtres vivants. Qu’ils sont indispensables à toute vie. Si certains organismes exigent, dans leur alimentation, la présence de ces facteurs alors que d’autres s’en passent, c’est simplement que les seconds produisent eux-mêmes ces composés tandis que les premiers en sont incapables. D’où la nécessité pour ceux-ci de se procurer toutes prêtes ces substances indispensables. Découverte de portée immense. Elle montrait que les mêmes structures et les mêmes fonctions se retrouvent chez tous les êtres vivants. Que l’ensemble du monde vivant est construit avec les mêmes matériaux. Quelques années plus tard, l’analyse de la nutrition des microorganismes, fondée sur les idées de Lwoff, devait être reprise par les généticiens. Ainsi allait naître la génétique biochimique.
Dès lors la situation allait se renverser. Bien loin de rester en marge des autres organismes, les bactéries devenaient le matériel de choix pour l’étude de la cellule, de ses fonctions, de ses synthèses. Le cycle pouvait alors se refermer. Le parcours de Pasteur l’avait conduit de la cristallographie et de l’étude des molécules de tartrate à celle du monde vivant et des microbes. La biologie moléculaire va parcourir le chemin inverse et, à partir des bactéries, étudier les structures et les fonctions des principales molécules constituant les organismes. Et dans les développements de la biologie moléculaire qui, en quelques années, modifiera notre représentation du monde vivant et envahira les différents aspects de la biologie et de la médecine, les pastoriens, avec les groupes d’André Lwoff, Jacques Monod, François Jacob, Elie Wollman, François Gros et Jean-Pierre Changeux vont jouer un rôle de premier plan. Et un siècle après la vaccination contre la rage, c’est encore à l’Institut Pasteur que Montagnier, Barré-Sinoussi et Chermann ont isolé et identifié le virus HIV responsable de l’un des grands fléaux de ce temps.
Un peu plus de cent ans après sa fondation, l’Institut Pasteur compte aujourd’hui plus de 500 chercheurs et de 600 stagiaires. Il comprend 9 départements de recherche et 70 unités dans les domaines de la recherche fondamentale et des applications à la santé publique. Pasteur avait eu raison de voir grand.
Remerciements
Les photos étaient fournies par l’Institut Pasteur.
First published 2 April 1998